Café-bar, matinée chargée. On boit du café, on discute et on rigole. Un homme d’affaires, habillé conformément, commande un expresso : son expresso. Le barista en chemise blanche et gilet noir le sert, l’homme boit sa tasse du bout des lèvres. Il fait la grimace, cela dit tout. Poli mais résolu, il s’adresse à l’homme derrière le comptoir :

  • Avez-vous changé le type de café ? Il y a à peine une semaine encore, l’espresso avait un goût différent, plus fort, un goût de noisette plus marqué.
  • Monsieur s’y connaît, un grand sens du goût. En effet ; aujourd’hui, notre café est un peu plus doux, un peu éloigné du goût de « noisette », aujourd’hui, il est subtilement plus proche du « fruité ».
  • Merci pour votre compliment en ce qui concerne mon sens du goût ; je ne voudrais pas vous froisser, mais le « fruité » n’est pas à mon goût. Pourquoi ne faites-vous pas en sorte que votre café ait toujours le même goût. Ainsi je sais à quoi m’attendre et je n’ai pas de mauvaise surprise.
  • Vous savez, ces arômes sont une expression du café à base de produits naturels, à commencer par le caféier, qui fait mûrir une qualité de grain différente en fonction de la saison, des conditions météorologiques, du moment de la récolte, même si de la même variété.
  • Je le sais très bien, mais il y a suffisamment de fournisseurs et de producteurs de café qui parviennent à normaliser le produit.
  • Évidemment, en particulier dans le domaine des capsules et des instantanés, mais dans les mélanges aussi. Nous connaissons aujourd’hui suffisamment de produits qui ont toujours le même goût à tout moment dans le monde. Pourtant, est-ce cela que nous voulons ?
  • Eh bien, je le veux ; pour moi, en tant qu’homme d’affaires, il est important que je puisse compter sur le café et le travail du torréfacteur.
  • Vous avez tout à fait raison, et vous le pouvez aussi ! Laissez-moi vous demander quelque chose : vous êtes un homme d’affaires ; faire des affaires se fait par le biais de relations, non ?
  • En effet.
  • Ces relations sont-elles les mêmes tous les jours ?
  • Bien sûr que non, lorsque vous rencontrez le partenaire commercial, vous devez faire avec le lieu, le moment, la forme du jour et bien d’autres choses encore. C’est pourquoi je veux que le café ait toujours le même goût, afin de pouvoir toujours compter sur une valeur constante dans mon quotidien.
  • Vous pouvez trouver cela dans le produit standard mais vous perdrez la valeur réelle du café à base de produits naturels avec ses nuances de goût. Changez simplement la constante ; le goût ne doit pas être constant, mais le travail du torréfacteur, votre torréfacteur, doit l’être !
  • Comment dois-je comprendre cela ?
  • Êtes-vous d’accord avec moi pour dire que le grain de café en tant que produit naturel ne peut jamais être identique ?
  • D’accord, c’est pour cela que je veux un goût standard.
  • Comparez cela à un bon vin ; on apprécie les variations d’un même vin, ce qui peut être différent à cause des millésimes différents, c’est là que commence la culture du vin…
  • … non, non, non, maintenant vous voulez prendre une certaine hauteur et comparer votre café avec un produit qui nécessite un soin particulier …
  • … ne vous méprenez pas sur le travail et le soin dont le café a besoin. Nous sommes d’accord que le café est un produit naturel. Notre café ici est récolté à la main, le traitement nécessite beaucoup de connaissances et de soins. Le travail du torréfacteur commence dans l’établissement de torréfaction. Il reconnaît et sent la différence, le potentiel des grains à chaque livraison de grains de café. Certes, il pourrait standardiser…
  • … ça serait possible oui…
  • … mais remarquez ceci : en se basant sur quelle valeur faut-il standardiser, si on a des qualités différentes ? Quelle est le rythme à suivre lorsque huit personnes font du jogging ensemble ? Le rythme du plus lent ! Quel vocabulaire puis-je utiliser si je parle à douze personnes lors d’une conférence ? Je devrais choisir le vocabulaire qui correspond à celui qui a le niveau de vocabulaire le moins élevé, si je veux que tout le monde me comprenne. Il en va de même pour la standardisation du café : il faut se baser sur la qualité la plus basse…
  • … Je n’ai jamais vu cela ainsi auparavant…
  • … mais le torréfacteur ne souhaite pas cela, car ce serait dommage pour la matière première naturelle, qui pour le vin est le raisin, et pour le café son grain. En tant que spécialiste, le torréfacteur veut tirer le meilleur de chaque grain, c’est sa passion. Il torréfie les grains en fonction de la température et de l’humidité de l’air à un niveau de chaleur différent, avec une durée différente ; selon le stockage des grains, il sait les faire torréfier différemment. Il est conscient de sa responsabilité : chaque étape de son travail façonne le goût du café ! Ainsi, il peut équilibrer les nuances de qualité du grain différentes, mises en avant par les conditions météorologiques, le sol, le moment de la récolte, mais il peut également mettre en évidence les caractéristiques de qualité marquées de la matière première. C’est comme un artiste. Il ne peint jamais un sujet de la même manière. Il peint toujours avec une expression différente, mais cela est toujours et reste une œuvre d’art…
  • … oh, ça devient passionnant…
  • C’est la même chose avec le café : le torréfacteur perfectionne la matière première, crée une œuvre, en fait une œuvre d’art. Le résultat est un produit qui a son caractère, mais en fonction de l’année et de la récolte, ce caractère est différent. Cherchez votre tranquillité, votre valeur sûre quotidienne dans un café qui vous surprendra par ses nuances de saveurs, pour lequel vous savez que le torréfacteur, votre torréfacteur, a tiré le meilleur du grain.

Le calme est désormais revenu entre les deux hommes. Après ce moment de silence, l’homme d’affaires dit :

  • Vous savez quoi ? Je prendrai volontiers encore un café !